Chez bern Wery (Bruxelles, 1956), une longue pratique du dessin exerça l’esprit et la main au geste graphique qu’il mit en relation avec de subtiles couches de couleurs. Les traits à l’encre ou au crayon participent à l’émergence d’un univers figuré : montagnes ou vallons, arbres, points d’eau et personnages engagent la dialectique picturale au contact des pinceaux imbibés de peinture à l’huile. Ainsi surgissent des mondes, des formes et des situations qui hantent son imagination et ses souvenirs: paysages contemplés lors d’un voyage ou vus depuis sa campagne flamande où il a choisi de vivre, scènes de mythologie personnelle, sensations lumineuses et vibrantes captées dans ses rêves. L’orchestration des traits nerveux et des masses colorées fait naître une évidente méditation entre la nature extérieure et l’intériorité de l’âme.


Selon le souhait de Gaston Bertrand (1910-1994), exprimé de manière très précise, « un Prix Gaston Bertrand sera décerné à un peintre belge de 45 ans au moins, ayant sa démarche propre et ses moyens inventés par lui pour rendre visible son monde intérieur ». À ce jour, 9 prix furent décernés : Boris Semenoff (1999), Francis De Bolle (2007), Christian Rolet (2010), Camille De Taeye (2012), Jacques Zimmermann (2014), Gisèle Van Lange (2016), Dominiq Fournal (2018), Denis De Mot (2021), bern Wery (2023)

 


Bern Wery, 40 années de paysages

par Muriel de Crayencour,
Mu in the City (Mu-inthecity) 11 mai 2013

À l’occasion du prix Gaston Bertrand qu’il vient de recevoir, Bern Wery expose un Aperçu rétrospectif (1983-2023) de ses peintures et dessins à la Galerie Didier Devillez.
Petits et moyens formats alignés aux cimaises, on retrouve toute l'allégresse de sa peinture riche de textures et de couleurs. Bern Wery (1956) ne pense pas ce qu'il peint. Il ne réfléchit pas à ce qu'il va advenir sur les panneaux de bois qu'il utilise. En effet, et nous le notions déjà lors de son exposition à la Galerie Albert Dumont en janvier 2022, c'est en peignant, dans la puissance lyrique du geste, que le motif advient. L'artiste n'a pas fait de plan, n'a rien décidé. C'est le mouvement de sa main, tenant le pinceau, qui se laisse guider par le souvenir de paysages rêvés ou visités. Le geste crée l'allégresse, alors adviennent ces collines, ces champs, ces voies lactées, ces étoiles. Ensuite arrivent les personnages. Suggérés d'une ligne ou deux, ils semblent danser, ou se mouvoir pour rendre hommage au paysage et signaler leur présence.
De ce fouillis de riches couleurs, de textures variées, naissent des scènes enchantées dans lesquelles on ne peut pas manquer de voir le goût et la connaissance de Wery pour la peinture classique. Les scènes sont à la fois imémorielles et enracinées dans le moment présent. Bern Wery nous ouvre une fenêtre vers un paysage que nous avons tous sous les paupières. Un lieu où se promener, esquisser quelques pas de danse ou s'allonger dans l'herbe, un lieu de méditation et de rêves. Un paysage intime et intérieur. La grâce de ses tableaux vient de l'aller et retour qu'il propose entre l'image rêvée et le monde extérieur, dans lequel les collines supportent pour de vrai les étoiles et quelques danseurs.
Dans un avenant à son testament, le peintre, dessinateur et graveur belge Gaston Bertrand (1910-1994) émit le souhait que la Fondation qui porte son nom crée un prix portant son nom et l'attribue, selon ses propres termes, « à un peintre belge de 45 ans au moins, ayant sa démarche propre et ses moyens inventés par lui pour rendre visible son monde intérieur ». Ce prix a, entre autres, été remis à Camille De Taeye en 2012 et Dominiq Fournal en 2021.

 


Bern Wery, le passé en trompe-l’œil
(Le monde intérieur, valeur ajoutée)

par Danièle Gillemon
Le Soir (MAD), mercredi 10 mai 2023

Artiste discret, marginal, Bern Wery propose depuis des décennies une sorte d’odyssée métaphorique de la peinture qui évolue lentement mais sûrement au gré d’expositions en galerie. Le peintre, bien représenté dans les collections publiques, vient de se voir récompenser par le Prix Gaston Bertrand destiné à mettre en lumière l’existence d’« un univers intérieur », ce qui, loin d’être un vœu pieux, apparaît comme une priorité souvent perdue en chemin. Force est de constater que si la peinture se refait une santé aujourd’hui, elle est parfois dépourvue de cette nécessité première au profit de valeurs, disons plus décoratives, plus spectaculaires, numériques…

Une belle exposition d’humeur rétrospective, chez Didier Devillez, couronne l’attribution de ce prix à Wery, un prix qui n’est pas le premier. Elle accueille aussi des œuvres récentes, certes dans le droit fil du passé, mais comme balayées par le temps, rythmées simultanément par la nostalgie et un regain d’impétuosité. Plus abstraites, toniques, chaudes, lumineuses, elles semblent parfois dialoguer avec la peinture flamande baroque, se nourrir de sa substantifique moelle. Dans les tableaux moins récents, les prédelles s’invitent généreusement dans le champ pictural comme un commentaire sur l’histoire de l’art, un bavardage, une façon de dire que chaque œuvre en contient dix ou cent autres. Ces fenêtres font place dans un tableau de 2019 à une bande de couleur orange aveugle et lumineuse.

De ces masses colorées et vibrantes suturées de traits nerveux à l’encre ou au crayon, émergent des scènes processionnaires, des rassemblements, des paysages qui évoquent la peinture ancienne, parfois biblique, sauf qu’il s’agit ici de trompe-l’œil, de mirage, de terrain mémoriel où construire le tableau sans le figer. Il permet à celui qui regarde de rêver sur le pouvoir imprescriptible de la peinture de voir toujours plus loin, en amont et en aval, de se frayer un passage au cœur du mystère, de faire lever les événements existentiels dans le levain de la matière.

Ainsi peut-on parler de pèlerinage sans fin des pinceaux et de l’huile autour de l’acte pictural et de sa faculté à relier le passé au présent. D’une poétique de l’accommodement de l’œil et de l’esprit s’acharnant à saisir ce qui toujours se dérobe. Perpétuellement en mouvement, les masses colorées bruissent de mille événements composant avec l’évanescence des figures, l’impromptu de l’écriture, le tumulte du récit toujours à construire.

 


Bern Wery, un chaos à ensemencer

par Vincent Baudoux
in Lucterios (7 mai 2023)

Bern Wery vient de remporter le Prix Gaston Bertrand, attribué neuf fois seulement depuis 1999. Une exposition rétrospective lui est consacrée jusqu’au 20 mai à la Galerie Didier Devillez à Ixelles. Pour mémoire, Gaston Bertrand avait émis le souhait que sa Fondation crée un prix portant son nom et l’attribue « à un peintre belge de 45 ans au moins, ayant sa démarche propre et ses moyens inventés par lui pour rendre visible son monde intérieur ».

Les yeux de Bern Wery n’y voyaient pas très clair quand il était gamin. À défaut de voir les formes, l’enfant s’obligeait à regarder, à « sur-regarder » ce qu’il percevait : rien que des ombres, de la lumière, de la couleur.

Cette faiblesse d’origine devient une force résiliente qui, sans que l’artiste s’en doute, lui offre le premier matériau d’une vocation de peintre. Plus tard, la pratique de la photographie lui inculquera l’idée de netteté, et l’aidera à passer d’un monde brouillé à une vision claire. Passionné par l’ornithologie, l’enfant est subjugué par les nuances des coloris des plumages des oiseaux quand il les bague, par la magie changeante des couleurs étalées devant ses yeux, mais aussi par les textures et par l’ensemble du monde sensoriel, autant que l’organisation en structures impeccables et fonctionnelles.

La réalité est donc faite de multiplicités, et le peintre qui souhaite en rendre compte ne peut amoindrir le tissu relationnel complexe dont sont construites les choses. Devenu adulte, Bern Wery étudie l’anthropologie. Il y apprend à la fois la variété et la relativité des organisations humaines, la rigueur de la pensée et du processus d’expression. Sans formation artistique dûment estampillée par les institutions, mais imprégné depuis l’enfance des chefs d’œuvre de la peinture classique, Bern Wery n’a jamais été contraint de se soumettre aux normes implicites de l’air du temps présent, et navigue dans le monde de l’art de manière instinctive. Cela étant dit, aucun de ses voyages ne vaut le cadre de son jardin ou des jardins de l’existence, dit-il. Le riche cocktail de tous ces ingrédients complète le potentiel de l’œuvre à venir.

L’image d’un long fleuve pas très tranquille convient particulièrement à cette œuvre, tant les ruisseaux et les rivières qui la constituent trouvent leurs sources dans des horizons divers. En cas de crue, ils charrient nombre de matériaux venus d’ici et là, que l’on retrouve enchevêtrés dans chacun de ces tableaux comme les dépôts abandonnés par la violence des flots. Un jour, comme par inadvertance — mais on sait qu’il n’y a pas de hasard, seulement des rencontres, selon le mot attribué à Paul Éluard — l’artiste croise un bout de panneau MDF, anonyme, sans valeur. Et c’est le coup de foudre : il en fait désormais un de ses supports favoris, l’autre étant le bois de peuplier aux caractéristiques un peu similaires. Ces bois au grain fin n’ont pas la souplesse de la toile, et les matières s’y étalent, glissent et s’entrechoquent comme emportées par la force des courants.

Les formats choisis font qu’il n’est nul besoin de focaliser le regard ou de bouger la tête pour en percevoir l’ensemble. Ces supports acceptent sans rechigner tout traitement technique où se mêlent les divers pigments apportés par autant de types d’outils, de brosses, de pinceaux, de spatules. L’idée d’abondance s’impose — amplifiée par la manière dont l’auteur intitule ses œuvres « Visuel 2460 » par exemple, suivi automatiquement de « Visuel 2461 ». Soit la quasi indifférence du compte-rendu documentaire qui exclut l’affect.

À première vue, ces images sont une accumulation désordonnée, un chaos où chacune et chacun y trouve ce qu’elle ou il a envie de voir. L’anthropologue n’étant jamais loin, Bern Wery en fait des paysages qu’il parsème de fragments de figures humaines, toujours fantomatiques, parfois définies par un fin trait, ce qui crée des relations et un espace imaginaires. Comme dans les paréidolies, on se convainc d’y percevoir ici un scénario ou lieu criant de vérité, là une inspiration de tel ou tel chef d’œuvre de l’art ancien, etc. Car le peintre le sait, l’esprit des humains ne peut s’empêcher de trouver du sens au hasard, et se caractérise par un besoin irrépressible de démêler toute embrouille visuelle. Il faut dire qu’avec le matériau dont il dispose, l’artiste fournit des indices de toutes les sortes, contradictoires et à profusion. Il faut être passé par le lieu de vie de Bern Wery, où l’habitation se prolonge vers un grand jardin, un peu sauvage, directement accolé à la Forêt de Soignes. Les végétaux en pagaille, les flaques dans l’ombre, des trous de lumière deviennent comme autant d’yeux qui vous regardent, comme des présences qui n’ont rien à faire des humains. Ce lieu propice à l’imagination ressemble-t-il aux tableaux, ou ceux-ci qui s’inspirent-ils de ce lieu ?

Ces indices, souvent trompeurs, deviennent les protagonistes du tableau peint. Sans vouloir répertorier ces signes de manière exhaustive, on y repère facilement les zones d’ombres et les éclats de lumière, les points, les lignes et les surfaces, les touches courtes et les flaques, les couleurs et les grisailles, les cernes et les ouvertures, les coups de brosse rageurs ou langoureux, les mouvements et inclinaisons fortement différenciés du pinceau qui palpe le support sous divers angles et avec des pressions variables, etc. Chacune de ces histoires devient un scénario à tirer au clair, une énigme à résoudre comme dans un polar, un appel à l’imagination qui construit une narration à partir de tel ou tel signal graphique. Chaque signe né du hasard appelle son opposé, en un brouet d’un temps lointain, quand l’idée de système organisé, clair, unifiant, avait encore à s’inventer. Et si les tableaux de Bern Wery étaient un chaos dont l’artiste ensemence les potentiels ?