Jean-Pierre Ransonnet,
sapins rouges, ça peint vert

Un chaos de couleurs et de pigments. Une profusion de pots où trempent des pinceaux. Une accumulation de peintures en cours. Des outils anciens, des cartes postales qui sont autant d’images sensibles, des taches et des éclaboussures en tout sens : celui qui pénètre dans l’atelier de Jean-Pierre Ransonnet, adossé à quelques collines non loin de Liège, a le sentiment de rentrer dans la cabane aux mystères de l’enfance. Ce n’est pas un atelier d’artiste de plus. Et cet atelier n’a rien non plus du jardin d’enfants ou de la cour de récréation : Ransonnet a toujours eu horreur de l’école, de ses contraintes, servitudes, et récréations imposées.

Non, cette cabane où le sol porte l’empreinte de l’or en poudre, des verts d’herbes, du rouge sang, de l’ocre et de la terre de Sienne se cache en plein cœur d’une forêt nervalienne. Ici se dressent des lignes de sapins, en cohorte ou isolés, des échelles faites de troncs et de branches, fermement plantées dans une atmosphère crépusculaire – ça peint la nuit  – ou trouant un horizon mordoré de point du jour. Ici les paysages ardennais prennent la douce rondeur d’un sein ou d’une colline italienne, les ciels s’enhardissent en des bleus marins, et la plénitude l’emporte sur la mélancolie. Dans une trouée d’orage survient une figure humaine, tantôt mauve, tantôt noire ou brune, simple tracé ovale qui se prolonge parfois dans la boucle de la lettre « l », cet autre élément fondamental du vocabulaire pictural de Ransonnet, depuis ses premiers travaux – écriture sur photographie – des années 70-80.

La forêt nervalienne a ses obscurités et ses clartés, ses emportements et ses explosions, ses jouissances et ses délires qui imposent le silence. Mais elle prend sa source dans une peinture toujours en mouvement, superposant les couches, les pâtes, et les coulées de rouge ou de vert. De l’association de l’acrylique et des pigments jetés sur la toile, du hasard d’une forme donnée par une tache, Ransonnet fait un nouveau jeu. La surface peinte commence à acquérir sa vie propre, elle se libère de la pensée, la gestualité accentue l’expérience abstraite, le peintre s’y oppose, s’y soustrait ou l’accepte, mais la peinture est bien là : dans une forme d’extase qui envahit l’artiste lorsqu’il re-découvre l’origine du monde, dans cet abandon qui rend à la nature sa genèse, dans le plaisir sensuel qui naît de l’étreinte physique avec la couleur.

Chez Jean-Pierre Ransonnet, en effet, la peinture relève de cette espèce de mandragore chinoise dont parlait Furetière, à laquelle les peuples asiatiques confèrent d’extraordinaires vertus revigorantes, à la fois narcotiques, stupéfiantes et aphrodisiaques, et dans laquelle on reconnaît le ginseng. La peinture de Ransonnet est sa maindegloire : ce nom plus ancien de la mandragore pouvait-il mieux s’appliquer à un tel peintre ?

Alain Delaunois (mai 2007)


Jean-Pierre Ransonnet est né à Lierneux en 1944. De 1974 à 1978, il participe aux activités du groupe CAP avec Jacques Lennep, Jacques-Louis Nyst, Jacques Lizène, Pierre Courtois. En 1979, il est l’un des fondateurs de la galerie L’A, à Liège, où il organise des expositions jusqu’en 1986. Il vit et travaille à Liège.

 


Jean-Pierre Ransonnet, l’Ardennais

Toiles et bois gorgés de sève et de pigments.
Les riches heures d’un peintre sensible aux effusions naturelles

Jean-Pierre Ransonnet fait partie de ces artistes qui demeurent longtemps calfeutrés en leur tanière mais qui, lorsqu’ils en sortent, semblent apparaître là au moment opportun et comme on les attend. Je n’ai jamais été déçu en abordant une nouvelle exposition de ce colporteur de la terre ardennaise. Sa terre meurtrie sous les bombes alors même qu’il naissait. Jamais déçu car, s’il reste fidèle à lui-même, l’artiste Ransonnet arrive à mûrir sa peinture au fil de ses jours. Contemplatif généreux, amoureux du terreau et des matières organiques, sensible aux bruissements du vent et des saisons, aux couleurs du temps, Ransonnet est un rapporteur de sensations, de sentiments de mèche avec l’océan de nos vies en balade.

La nouvelle récolte, la sienne, est sensuelle et gorgée de jus. Gouleyante pour qui s’abreuve volontiers de lumières, de grandes orgues chromatiques. Car, s’il peut jongler avec les ocres, les noirs et les bruns des heures de veille, Ransonnet n’a rien non plus contre les jaunes, oranges, verts ou rouges en fusion. Il y a du Monticelli, mais aussi du Van Gogh en lui. A tout le moins dans la manière d’affronter les terres qui tremblent et s’embrasent, ou celles qui s’enlisent.

Deux des vingt tableaux de cette partie sont éloquents à cet égard. La couleur, les couleurs y foudroient les amertumes, s’éclatent dans un grand feu de tripes et de jouissance. Plus abstrait que figuratif, encore que ceci ne veuille rien dire en son cas, ce Ransonnet d’une Ardenne fière d’elle et de son « ardeur d’avance » y va d’émotions, de pulsions plastiques symboliques sous l’épaisseur des matières. Sapin ou troncs d’arbres profilés tels des totems, tête de bûcheron (plus rare cette saison) à peine suggérée en filigrane de chromatismes envahissants à bon escient, l’artiste n’est pas un imagier, mais bien un sourcier à l’affût des souffles convaincants de cœurs à l’ouvrage du temps.

C’est son âme qu’il met à nu. Son âme et un passé revisité la brosse à la main, sans jamais s’y épuiser. Aller de l’avant en s’arc-boutant à ce qui fut de sage, de sauvage, de vrai, n’est-ce pas la meilleurs façon de vivre ? D’avancer coûte que coûte !

Roger-Pierre Turine
La Libre Culture (Mercredi 13 juin 2007)



Dans la forêt de Nerval

Le lieu de vie est parfois déterminant dans le tournant qu’opère un artiste au cours de sa carrière : les couleurs des nouveaux paysages rencontrés, les lumières particulières qui le parent parlent, étonnent le regard et invitent au renouvellement. Voilà des années que Jean-Pierre Ransonnet est venu installer son atelier au cœur de la forêt d’Ardennes. Les sapins y sont hauts, les ombres profondes, mais les couleurs fulgurantes lorsque les rayons du soleil percent au travers des feuillus et viennent caresser  l’herbe chatoyante. Tout ceci a ramené l’artiste vers la peinture.

Car au cours des années 70, participant au groupe d’avant-garde Cap, Jean-Pierre Ransonnet prenait les photos des personnes qui l’entouraient, réalisant une anthologie de figures présentes à un moment donné en un lieu donné. Déménagé, Ransonnet découvre les senteurs de la terre et se laisse envahir par les mystères de la forêt profonde, une forêt comme celle que chantait le poète Nerval. (1)

Malgré çà et là une forme de sapin, tellement synthétique qu’elle pourrait être caricature, l’œuvre de Jean-Pierre Ransonnet ne se veut pas imitative. Elle transgresse les limites de la figuration pour plonger à pleine pâte dans la charge émotive suggérée par des empâtements et de nombreuses superpositions. Derrière un vert foncé papillonne un jaune d’or, enflammé d’orange. La clarté succède à l’obscurité, parfois de manière abrupte, parfois avec la subtilité que procure une ombre portée.

En tout cas, l’artiste s’est ici régalé de couleurs dont il abuse ouvertement, sans remords aucun, mais avec une jouissance non dissimulée. L’œil est ici à la fête !

(1) Une référence assumée par l’artiste comme le rappelle le très beau texte d’Alain Delaunois accompagnant l’exposition.

Anne Hustache
Zone 02 (du 6 au 19 juin 2007)