Les textures minérales de Claudine
Péters-Ropsy
Comme des fragments, de ciel, de terre, de mer, qu’une
folle éruption volcanique aurait à jamais figés
Nous l’avions rencontrée en son atelier
du Brabant wallon, entourée de hautes structures d’un bleu
intense et mat. Étranges installations nées de végétaux,
pliés, cassés, compressés, métamorphosés
en pâte à papier et imprégnés de couleur.
À l’époque, c’était en 2002, Claudine
Péters-Ropsy nous faisait part d’expérimentations
à base de béton teinté, projet surprenant et porteur
de renouveau… C’est en explorant des chemins inattendus que
l’artiste souvent progresse.
Les œuvres minérales qu’elle nous propose aujourd’hui
sont passionnantes comme des fragments de ciel, de terre, de mer, de désert
qu’une folle éruption volcanique aurait à jamais figés.
La Galerie Didier Devillez a, fort à propos, mis la main sur cette
gamme d’exercices de style qui n’ont rien à voir avec
de la peinture.
Ici, pas de support, pas de pinceau, pas le moindre outil du sculpteur,
mais de la poudre de pierre, des pigments aux coloris infiniment sobres
et du liant.
Tels sont les ingrédients de cette « pâtée »
mystérieuse que l’artiste coule dans un coffrage et laisse
reposer afin que la matière compose, à son insu, une œuvre
qui relève de l’aventure.
Dans le même esprit, les maîtres verriers guettent, à
la sortie du four, la pièce achevée qui comporte parfois
des surprises dues aux caprices du feu.
Après trois mois de séchage, surgissent les tableaux démoulés
que l’artiste (re)découvre, peaufine à la truelle
pour lisser la matière ou au contraire laisse en en l’état
pour faire apparaître rugosités et craquelures nées
d’un accident de parcours !
Toute cette technique découle, on s’en doute, d’un
long, d’un lent travail de réflexion. L’amalgame de
la pierre broyée et des pigments ne s’improvise pas. L’émotion
se doit d’être de la partie pour que les ocres brûlants
deviennent désert craquelé par la sécheresse ou que
les sombres gris striés d’une coulée blanche ou piquetés
de rouille évoquent les ténèbres d’une nuit
sans fin. Les gris bleutés, épais, rugueux, vibrants de
vie – s’ils n’étaient présentés
à la verticale – rappelleraient les brumes du Nord effilochées
entre ciel et terre. L’œil avisé y découvrira
aussi la mélodie de l’aube première débouchant
en demi-tons sur l’univers.
Magicienne, Claudine Péters-Ropsy transforme la matière
en autant de poèmes bruts et abstraits qui poussent le «
passant » à entrer dans le rêve qu’ils suscitent.
Libre à lui de s’y perdre un moment pour écouter le
murmure du temps.
Colette Bertot
L’Écho, vendredi 8 octobre 2004
Pierres de rêve
Il y a quelque chose des arts du feu dans cette manière de défier
le hasard tout en le contrôlant, de se réjouir d’une
flamme d’argent brillant dans les ténèbres, de ces
déserts d’ocre chaud légèrement craquelés,
de ces noirs grumeleux gagnés par la rouille, de ces gris tranquilles
virant au bleu comme par magie. Demi-tons, dégradés, ombres
verticales peuplant l’espace, tout se joue chez cette ancienne adepte
d’un bleu absolu, dans de sombres et violentes couleurs géologiques
et parfois dans les gris légers ou sourds de nos ciels du Nord.
Les textures minérales de Claudine Péters-Ropsy (mais on
peut aussi parler de tableaux sans brosses ni pinceaux, de sculptures
sans taille ni assemblage) ne sont pas entièrement nées
d’hier, même si la technique qui préside à leur
naissance est tout à fait originale. Aussi distantes soient-elles
de la peinture abstraite, elles ont été longuement et involontairement
mûries par elle, enfantées par la physique et la chimie de
ses couleurs, de ses matières déclinées au fil du
temps.
Il n’est pas utile de révéler comment Claudine Péters-Ropsy
choisit ses pierres, ses pigments, ses gammes de couleurs, comment elle
broie ces matériaux, les malaxe jusqu’à obtenir cette
poudre au grain inégal puis la pâte qui, en se solidifiant,
compose des poèmes plastiques chaque fois uniques. Ni comment elle
constitue son volume avant de laisser les matériaux sédimenter
et sécher lentement dans leur cadre. Tout cela ressemble à
de la cuisine. L’œuvre d’art ne tombe jamais du ciel,
encore moins quand elle s’ingénie à nous faire oublier
de quel labeur elle est née.
Elle s’explique pourtant et se comprend d’abord dans ce labeur.
Chaque phase, chaque geste est un prélude, le maillon d’une
chaîne qui relie étroitement la plasticienne à une
conception lyrique de l’univers. Le murmure du vent, l’éclat
du soleil, le frémissement de l’herbe, les plis de l’eau,
les brumes de nos ciels plombés, tout ce qui paraît manifester
d’une façon ou d’une autre l’intuition d’une
énergie supérieure se trouve métamorphosé
dans cette aventure picturale radicale.
On dirait que les débris de pierre ou de marbre broyés qui
sont à l’origine contiennent un programme à orchestrer,
un message à amplifier. Une invite que Claudine Péters-Ropsy
saisit, fixe, transcende en ménageant dans ses tableaux les aléas
de l’aventure. La dureté minérale se fait alors quintessence
de caresse, de frôlement, de souffle, de présence spirituelle
obsédante et parfois violente.
Danièle Gillemon,
Juin 2004 |