Le poète jardinier

Si l’œuvre du poète François Muir (1955-1997) est aujourd’hui reconnue par les milieux avisés, personne, ou presque, ne connaissait jusqu’ici sont travail de pastelliste.
Que voit-on ? D’abord, des surfaces de velours, sans nuage, remplies de pastel gras, au cœur desquelles s’agite une foule de signes et de personnages posés en apesanteur. La joie ressentie au contact des formes et des couleurs tropicales se trouble par le caractère de l’univers entrevu, singulier, rebelle aux comparaisons, populaire et savant. Une clarté étrange s’insinue entre le mauve qui, non loin d’une étoile orange, fait la cour au vert pomme. Feuille grise, saveur rose de crème glacée, nuit mate. Oui, il y a des personnages, poupées de chiffon et monstres à pois rouges, des insectes à pattes noires et des fleurs jaunes qui, sur fil d’acrobate, se transforment en crocs menés en pirogue.
Ainsi, si le premier regard accueille le plaisir enfantin de l’artiste, sa patience même fait basculer l’éden annoncé. On devine l’angoisse. Celle du poète qui, depuis toujours, avait jeté sa vie en pâture aux mots qui, de fils tissés en labyrinthes obscurs, n’avaient de cesse d’approcher ce lieu de secret qu’il sentait grandir en lui.
Pressé, oppressé, cet homme de lettres savait que le temps lui était compté. Alors, il lui fallait vivre vite. Écrire, encore et encore. Mais, aussi, trouver à jardiner afin de calmer le feu du dedans. D’où son travail de pastelliste jusqu’ici resté secret. On devine ses promenades, entre allées et chemins, rivières, lignes, frontières et bulles toujours prêtes à éclater.
Créés en même temps que ses premiers comptes comme Walla ou un roman comme Le Palais des haches, ces pastels sortis aujourd’hui de l’oubli cachent en réalité d’autres œuvres plasticiennes, à l’huile et, surtout, à l’encre qu’on aimerait bien voir à leur tour présentées au plein jour. François Muir, le poète mallarméen, avait vraiment quelque chose d’Aladin.

Guy Gilsoul
Le Vif/L’Express, 27 juin 2003


Haut est le mur blanc. Je pose l’échelle contre le mur blanc. Je n’ai pas dormi depuis longtemps et suis ivre de fatigue, mais il me faut monter sur l’échelle – ainsi en ai-je décidé – et parvenir au sommet du mur blanc. Il y a tant d’années que j’observe le haut mur blanc. Me voici sur le premier échelon. Je ne distingue rien d’autre que le haut mur blanc. Je gravis le deuxième, le -troisième et déjà le paysage change : il s’agit toujours du haut mur blanc, mais il y a ici des montagnes, des volcans et, dans le ciel, on aperçoit une montgolfière écarlate qui oscille entre le soleil et la lune. Il me faut boire un peu d’eau. Aussi, je sors la petite gourde en fer-blanc dont je me suis muni et en pose le goulot contre mes lèvres. Je suis tellement fatigué. C’est avec la plus grande difficulté que je tiens en équilibre sur le troisième niveau de l’échelle. Je réussis toutefois à gravir les quatrième et cinquième échelons. Le haut mur blanc me paraît être semblable à la ligne d’horizon. Plus on approche son sommet, plus, impassible, celui-ci s’éloigne. D’où je suis, sous un soleil éclatant, je puis voir s’entrecroiser cinq fleuves. J’ignore tout du nom de ces fleuves, de même, je ne sais rien de cet immense soleil qui m’apparaît pour la première fois. Je décide de poursuivre. Voici que je gravis maintenant les sixième, septième et huitième niveaux de l’échelle. Je souhaiterais tant atteindre le neuvième échelon. Il y règne – c’est là ce que jadis me confia mon aïeul – une paix à nulle autre semblable. Je dois m’arrêter toutefois, tant se fait sentir l’épuisement dont je suis l’objet et qui menace de me faire perdre l’équilibre. Il y a ici de grandes forêts et on entend bramer le cerf. C’est la nuit. Des milliers de petits lacs composent l’étendue et la lune, compagne de mon séjour, s’y réfléchit, innombrable. Je n’irai pas plus loin. J’ai épuisé mes dernières forces. Le neuvième échelon conservera pour moi son mystère. Impassible, impénétrable et, à sa manière, souriant, est le haut mur blanc.

François Muir
Dans l’Ignorance des Territoires,
Didier Devillez Éditeur, 2001