Née en 1946 à Bruxelles, Colette Lambrichs effectue une candidature en philosophie et une licence en Histoire de l’Art à l’Université Libre de Bruxelles. Après avoir travaillé pendant deux ans à la Galerie Withofs où elle rédige les textes de présentation des artistes dans les catalogues , elle organise pour le Studio 44,  au Crédit Communal de Belgique, une  exposition qui inaugure la salle, intitulée « Art africain, Art moderne ». Le catalogue qu’elle élabore avec Corneille Hannoset inaugure les publications thématiques de grandes expositions dans les musées. Toujours avec Corneille Hannoset, elle fonde « Le Ready Museum », musée virtuel qui invente au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, puis au Musée des Arts décoratifs à Paris, une exposition intitulée « La Vénus de Milo ou les dangers de la célébrité ». Le catalogue témoigne de l’aspect ludique et du double hommage rendu à Duchamp et à Marcel Broothaers. De nombreux artistes élaborent une œuvre pour cette exposition (Miralda, Michel Journiac, Michel Henry, Pol Bury, Folon) et Philippe Geluck y dessine les avatars de la Vénus depuis sa découverte à Milo.
En 1972, Colette Lambrichs s’installe à Paris. Après un bref passage chez Weber, le distributeur de Skira, qui lui demande d’ouvrir une galerie dans ses locaux situés rue de Rennes à Paris – elle y exposera Jean-Michel Folon et Olivier O. Olivier – elle rejoint la revue Obliques dirigée par Roger Borderie et Henri Ronse. Elle collabore au volume Bellmer avant de rencontrer en 1975 Joaquim Vital qui vient de créer avec Marcel Paquet les Éditions de la Différence. Depuis cette date, elle s’engage dans l’aventure éditoriale de cette maison d’édition, rebelle aux formatages, dont l’art et la littérature sont la raison d’être. Elle continuera d’en diriger les publications après la mort de Joaquim Vital, en 2010, jusqu’en juin 2017 date à laquelle, sous la présidence de Claude Mineraud, actionnaire devenu majoritaire, le Tribunal de Commerce de Paris exige l’arrêt immédiat de l’activité. Désespérée de devoir abandonner un catalogue riche de plus de  2.000 titres, elle décide de fonder, seule, une nouvelle maison d’édition, Les Éditions du Canoë. Parallèlement, elle écrit et publie à La Différence plusieurs recueils de nouvelles et deux romans, Tableaux noirs, (1980, 3e éd. 1997), Histoires de la peinture (1988, 2e éd. 1997), Doux Leurres (1997), La Guerre (2002), Logiques de l’ombre (2006) et Éléonore (2013). En marge de ses activités éditoriales et de l’écriture de ses textes, elle mène secrètement depuis des années une œuvre plastique, ses « papiers mâchés », qu’elle montre pour la première fois aux Editions de la Différence en novembre 2016.


Le rêve de la matière

Le plaisir chez Colette Lambrichs vient de travailler avec ses mains des papiers mouillés avec de la colle  et mélangés à des couleurs, à des pigments, avec du sable ,des  pierres et des objets  trouvés. C'est la mémoire des lieux où elle a séjourné : l'Algarve, le Maroc,Djerba, Ostende.
Ce sont des puzzles d'une biographie.
Quelques portraits d'amis au visage surgissant de la couleur, recouvert de morceaux de journaux ou simple silhouette sur fond de mer, d'un chanteur d'opéra, d'un personnage régressant vers le tribal, qui devient masque cérémonial.
Une danseuse semble là depuis toujours sur une fresque, une femme devient Léda avec le cygne, Actéon, Artémis, nue, lance ses chiens sur Actéon, Pandora et Déméter  sont  les autres figures de la mythologie qui donnent  au papier mâché la beauté du mystère.
Un bestiaire prend la place des figures : taureaux, chats, oies, grues, toutes sortes d'oiseaux, araignée géante, licorne dans des paysages de rêves en couleur.
Le cyprès devient un totem dans une allée qui donne sur un ciel en carton pâte d'un décor féérique.
Une femme- arbre fait de la peinture une fable. Le chat Crésus grimpe sur un arbre qui semble une plante au feuillage vert un peu passé.
On revient au réel, ou plutôt à l'abstraction du réel, avec des paysages minimalistes d'Algarve et d'Ostende. Un couple rêve d'une  île – un rectangle de mer dans un damier. Un couple danse, on ne voit pas leurs visages, mais un éclat de lumière et le mouvement immobile de leurs corps dans un cercle.
Un couple, homme à là casquette, aux lèvres entr'ouvertes, se penche sur une femme qui attend son baiser-Désir, des natures mortes fêtent l'intimité, le bonheur simple.
Ce sont les traces d'un voyage qui traverse le rêve de la matière.
C'est l'archive de l'inconscient pacifié de Colette Lambrichs.

Jacques Sojcher


Peinte par Colette Lambrichs, une simple assiette posée sur le coin d’une table devient un tableau. Une telle métamorphose ne peut être élucidée. Énigmatiques, indéchiffrables, irréductibles, les oeuvres parlent d’elles-mêmes.
Qu’ajouter à cela, qui ne paraisse aussitôt un peu court ?
L’artiste ne nous en fait pas moins voir de toutes les couleurs : ici, dégradées, indéfinissables, d’une transparence de profondeurs marines sillonnées de présences furtives ; là, travaillées en pleine pâte, appliquées en épaisses couches modelées fiévreusement ; ailleurs encore, étalées en nappes grumeleuses, rugueuses et raboteuses – pour qu’émergent sur les confins de l’ombre et de la lumière autant d’images qui ne cesseront plus de nous émerveiller.

Frédéric Baal