D'origine allemande, la photographe française
Gisèle Freund, née en 1908, est morte en mars 2000 à Paris.Sociologue
de formation, elle est l'auteur de plusieurs reportages, notamment sur
le chômage en Angleterre dans les années 30.
Fuyant le nazisme, elle arrive à Paris en 1933. Encouragée
par son ami d'études de Francfort Norbert Elias, elle présente
une thèse, La photographie en France au XIXe siècle, qui
s'inscrira dans sa volonté de faire reconnaître la photographie
comme un Art à part entière alors que « c'était
considéré comme un métier minable dans les années
30 ».
La libraire Adrienne Monnier l'aidera à traduire sa thèse
en français et la publiera (Éditions La Maison des amis
du livre, 1936).
C'est chez Adrienne Monnier toujours que Gisèle Freund rencontre
André Malraux, dont elle fit le célèbre portrait,
mèche au vent. Grande lectrice, elle côtoie et photographie
une pléiade d'écrivains et d’artistes – Hemingway,
Joyce, Valéry, Colette, Paulhan, Breton, Michaux, Beckett, Ionesco,
Yourcenar, de Beauvoir, Sartre (qu’elle photographie en couleurs
par un procédé alors inédit, l'invention de la pellicule
Kodachrome datant de 1938), Bonnard, Matisse, et bien d’autres.
Amie d'André Gide, elle joue aux échecs avec Walter Benjamin
et s'engueule avec Virginia Woolf...
Elle cultive l'amitié partout où elle passe. En Allemagne
dans les années 20, en France dans les années 30, en Argentine
durant la Seconde Guerre mondiale. Partie pour deux semaines au Mexique,
elle y reste deux ans et se lie, entre autres, avec les peintres Frida
Kahlo et Diego Rivera.
Revenue en France en 1952, elle se fait virer deux ans plus tard de l'agence
Magnum par Capa, qui craignait de compromettre l'avenir de l'agence car
le nom de Freund figurait à ce moment-là sur la liste noire
du sénateur Mac Carthy !
Tour à tour, Gisèle Freund fut pionnière du portrait
en couleurs et sociologue de la photographie. Elle est l'auteur d'un
best-seller toujours vendu : Photographie et société (Point-Seuil,
1974).
Grand Prix national de la photographie en 1980, elle a été exposée
au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 1968 et au Centre
Georges Pompidou en 1991.
Bibliographie sélective :
La
photographie en France au XIXe siècle,
La Maison des amis du livre, 1936 ;
Le Monde et
ma caméra, Denoël,
1970 ;
Photographie et société, Point-Seuil, 1974 ; Mémoires
de l'œil, Seuil, 1977 ;
Trois jours avec Joyce, Denoël, 1983 ;
Itinéraires, Albin-Michel, 1985 ;
Portraits d'écrivains
et d'artistes, Schirmer/Mosel, 1989 ;
Gisèle Freund Portrait,
entretiens avec Rauda Jamis, Des femmes, 1991 ; Photographs, Schirmer/Mosel,
1993 (en anglais).
Gisèle Freund
Portraits d’écrivains et d’artistes
C’est à une première belge que convie la galerie
Devillez avec Gisèle Freund, photographe française d’origine
allemande, qui vécut l’effervescence intellectuelle et artistique
du XXe siècle. En témoignent ses portraits de personnalités
marquantes sans masque ni falbala.
Tout à la fois sociologue disciple de Théodor Adorno et
de Norbert Elias, photographe et historienne de la photographie avant
l’heure, auteur notamment du best-seller Photographie et société,
paru en 1974 et toujours édité aujourd’hui, Gisèle
Freund (1908-2000) fut une grande dame. Modeste dans le geste, mais précise
dans ses choix prémonitoires.
Arrivée à Paris en 1933, fuyant le nazisme parce que juive
et antinazie, avec pour toute richesse le petit Leica que lui avait offert
son père, elle intègre aussitôt les milieux progressistes.
Photographiant spontanément ceux qu’elle croise, travailleurs,
passants, voisins…, l’idée lui vient, surprenante
pour l’époque, d’essayer d’en vivre en proposant
ses services à la presse et aux maisons d’éditions.
Amie d’intellectuelles libraires, passionnée d’art
et de littérature, elle côtoie des personnalités
qui marqueront le siècle, comme André Malraux dont le portrait,
mèche au vent et cigarette au coin des lèvres, réalisé en
1935 pour la réédition de La Condition humaine,
lui vaut le succès immédiat. Il sera même, cigarette
en moins, reproduit en timbre-poste. Aussi, pêle-mêle Ernest
Hemingway, James Joyce, Paul Valéry, Colette, Jean Paulhan, André Breton,
Jean Cocteau, Henri Michaux, Samuel Beckett, Eugène Ionesco, Marguerite
Yourcenar, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, André Gide,
Walter Benjamin, Jacques Prévert, Virginia Woolf, Tennessee Williams,
José Luis Borges, les peintres Bonnard et Matisse ou encore le
duo mythique Frida Kahlo et Diego Rivera, qu’elle connaît
au Mexique, ou Evita Peron, rencontrée en Argentine. Autant de
monstres sacrés dont les visages sont devenus familiers grâce à ces
portraits maintes fois publiés depuis, qui n’ont rien des
poupées de cire engoncées des Studio Harcourt.
Vérité et simplicité
En 1936, alors
qu’être photographe est tout sauf un métier
glorieux et que les historiens ne se sont pas encore emparés de
l’image fixe, Gisèle Freund publie sa thèse sur La
photographie en France au XIXe siècle. Contemporaine des
avant-gardes et très en avance sur son temps — preuve en
est son choix de la couleur dès 1938, un procédé encore
balbutiant, et ses sujets engagés qui la font entrer après
la guerre dans l’agence Magnum —, Freund entrevoit les potentiels
de la photographie. Hostile au maquillage de l’image en tableau,
comme l’ont fait les pictorialistes trente ans plus tôt,
Freund préconise une approche puriste explorant les particularités
du médium et excluant l’usage de la retouche et du flou.
Sa reconnaissance à l’égard de Félix Nadar,
grand photographe et aventurier du XIXe siècle, pour la qualité psychologique
de ses portraits, aide à comprendre sa démarche. Comment
présenter sa face au regard de l’éternité,
sinon avec la raideur artificielle du sphinx ? Nadar connaissait
les intellectuels et les artistes qu’il photographiait avec naturel
pendant quelque conversation où, concentré sur ce qu’il
avait à dire, le modèle s’oubliait et ne songeait
plus au sérieux de la pose. Avec Gisèle Freund, la prise
de vue ne sera pas réalisée en studio, mais chez le modèle :
elle déteste les portraits bourgeois empruntés révélant
l’appartenance sociale et le contentement de soi au détriment
de la personnalité. Quoi de mieux que de parler philosophie, politique, économie
ou littérature et engager l’autre, mal à l’aise
sinon hostile à la séance de pose, à déposer
le masque sans y prendre garde ? Pour Freund, tout l’art du
portrait tient dans cet oubli de soi et dans la qualité de la
rencontre.
Christine De Naeyer
Artenews n°33, décembre 2006 – janvier
2007
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