Comment appréhender la peinture de Françoise Delfosse (1961) sans évoquer quelques balises ayant accompagné sa trajectoire picturale ?

Le peintre nourrit depuis les années quatre-vingt, un goût pour les courants expressionnistes du Blaue Reiter et du Brücke. Sa peinture en vert de gris, noirs et blancs froids aux thèmes réalistes met aux prises une société de soldats, bourgeois, prostituées, commerçants, marins et autres créatures interlopes. Ils arpentent à la tombée des jours sans fin une cour des miracles urbaine ou portuaire. Le tout résonne sur la toile d'un rire sardonique auquel l'écriture de l'artiste, poète par ailleurs, prête la parole -à moins que ce ne soient des cris- ?

Il s’intéresse aussi aux Immendorff, Richter, Lüpertz ou Penck pour leur travail « contestataire » post-1968. En Belgique, Bervoets, Theys, Van Anderlecht ou Gisèle Van Lange ont ses faveurs.

Depuis les années 2000, l'artiste déclare avoir le thème du paysage au cœur de son travail. Non pas le paysage pour lui-même, les tableaux ne sont que prétextes à la libération des élans gestuels. Delfosse a cherché pendant une douzaine d'années à réduire les modèles ou référents au profit d’une défiguration informelle. On la retrouve dans ses accords chromatiques, chauds cette fois, d’huiles, dessins, pastels, encres ou fusains.

Plus récemment encore, le peintre se complait dans le tracé de tesselles matiéristes renvoyant à des formes et des structures. Il y installe des relations inédites devant beaucoup visuellement à la mobilité du regard. Cette démarche a ouvert depuis la porte aux terre de sienne, aux rouges, bleus et noirs. Ses toiles sont ponctuées de saillies en jaune ou  vert.

Delfosse dit : « C'est la résonance des couleurs qui guide le geste de mon pinceau vers la forme ». Admirateur du Cubisme, c’est de Juan Gris qu’il semble être le plus proche. Pourquoi ?

Au cœur de sa démarche actuelle c'est le choix des gris argentés qui domine. Il s’agit d’étudier  picturalement l’impact de la lumière –ou de son absence- sur objets ou corps. Ceux-ci sont les éléments d’un paysage mouvant, activé à la force seule du souvenir. Usant d’une procédure d’inspiration cubiste, Delfosse, comme son grand devancier, fait habiter fictivement ses compositions de lueurs frontales ou de biais. Elles en renforcent par-là les contours atténuant l’inévitable et fragile horizontalité des plans.

La lumière contribue ainsi à rendre justice à l’essence même des choses et des êtres. 

Entre ombres et lumières, les personnages ou objets innommés, sont désormais les acteurs silencieux d’une pièce remémorée ?

Le Mythe de la Caverne n’est pas mort !

 

Michel Van Lierde