Calonne ! Jacques Calonne !
C’est un nom aux couleurs chaudes et pleines, à prononcer à voix haute, si possible en frappant le bois poli du piano avec le cul de la bouteille. C’est un nom à faire claquer comme une timbale dans l’air bleu et glacé, car les occasions sont rares de faire trembler les vitres embuées de notre temps – brr !
Jacques Calonne est un homme orchestre ; c’est peu dire que son œuvre est une caisse de résonance : celle d’une époque pas si lointaine où quelques irréguliers du verbe et du signe peints décidèrent de mêler joyeusement leurs travaux et leurs vies. À Copenhague, Bruxelles, Amsterdam ou Silkeborg, ils retrouvèrent les neiges d’antan, et soudain l’enfance ne fut plus bêtement éternelle : elle fut inflammable.
À force d’épier la danse des sons dans l’air, Jacques Calonne a su dévergonder la musique – cette bourgeoise, cette mijaurée. Arrachant les notes aux partitions où elles s’ennuyaient avec distinction, ce peintre à la baguette leste a composé une œuvre musicale et picturale en trempant ses mains dans la vie jaillissante, à l’état brut – cette matière grouillante, dense, silencieuse et noire comme de l’encre. Et voici que résonne contre la paroi d’une feuille blanche l’écho de vieilles gouttes de son gelées au fond de l’être qui explosent en couleurs, en fluides, en arabesques déliées, en mouvements désordonnés et aléatoires, mais non sans harmonie – compositeur oblige.
Jacques Calonne est un homme qui, à l’image de la vie, n’a pas eu peur de faire des taches. Essuyez vos larmes avant d’entrer, venez vous rincer l’œil ou le tympan, au choix, et vous verrez : après, le signe et le son, tout comme l’espace où ils se démènent, ne sont plus ce qu’ils étaient. C’est d’ailleurs tout le mal, sinon le seul, qu’on leur souhaite.

François de Coninck (février 2007)


Né à Mons en 1930, musicien de formation, Jacques Calonne a suivi de concert les cours de dessins de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Après avoir fréquenté les surréalistes, dont le compositeur André Souris, il rencontre Christian Dotremont en 1949 et devient le plus jeune membre du mouvement Cobra, dont il ne cessera de perpétuer l’esprit après sa dissolution, en menant une carrière bigarrée de peintre et de compositeur, ponctuée de rencontres singulières (S. Vandercam, P. Restany, Y. Klein, R. d’Haese, P. Alechinsky,…), de recherches graphiques, poétiques et musicales, ainsi que de nombreuses participations à des manifestations collectives en Belgique et à l’étranger. Sa première exposition personnelle remonte à 1970, à la galerie Dierickx.

 


Rythmes légers d’un musicien des signes

Né à Mons en 1930, l’artiste est musicien de formation et cela n’étonnera personne. Il suffit de jeter un œil aux cimaises de la galerie Devillez. Tout y est musique. Les signes, les taches, les arabesques, les formes libérées, les choix des coloris déclinant, en cadence, un dégradé chromatique harmonieux ou une écriture monochrome tressaillant de vie. Calonne « calligraphie » sur papier arche, papier chiffonné voire échantillon de papier peint, des messages rythmés comme des partitions venues de la nuit des temps. À l’aquarelle, à l’acrylique, à l’encre de Chine, il trace un chemin qui se faufile entre écriture, peinture, musique.

Faut-il préciser au passage que l’artiste rencontre en 1949 — il a 19 ans — Christian Dotremont, l’inventeur des logogrammes, et devient le plus jeune membre du groupe Cobra, auquel il restera fidèle même après sa dissolution. Homme multiple, poète, graphiste, compositeur, il passe avec une aisance déconcertante de la technique de musicien à celle de peintre. Du piano au pinceau et à la plume.

La main de l’artiste sait l’art subtil de transformer en éclats de lumière de simples signes qui aussitôt s’envolent, respirent, s’étirent en coulées de bleus, de verts, de gris, de rouges que ponctuent (à la manière de Dotremont) de petits textes, à peine lisibles et sans grand rapport avec le sujet, du genre : « sans direction intentionnelle » ou encore « par enlacements », « avec quelques battements »…

Au spectateur d’interpréter ou de gamberger. C’est la gestuelle de la plume ou du pinceau courant, dansant, sur le papier qui donne naissance à la poésie de ces signes tout empreints d’émotion. C’est le jeu mouvant des entrelacs chromatiques qui donne à l’image sa respiration. Et quand la musique s’insinue entre les « lettres » de ce mystérieux alphabet, elle investit les portées à coup d’écritures secrètes, étirées, déliées — forcément noir sur blanc — rythmant, pour qui veut bien prêter l’oreille, une série de « Suites Isabelle » aussi légères que celles écrites par Jean-Sébastien Bach pour Magdalena. Tout est spontanéité dans l’œuvre de Calonne et la liberté exprimée par chaque coup de pinceau, chaque tracé de plume, relève de la séduction. Le plaisir qu’il procure est identique à celui du spectacle d’un vol d’oiseau striant le ciel.

Il faut prendre du temps pour observer jusque dans le moindre détail les efflorescences de cette œuvre raffinée et écouter chaque note d’une petite musique silencieuse faisant abstraction du langage. « J’écris pour voir », affirmait Dotremont. On pourrait ajouter : Calonne peint pour écouter…

Colette Bertot
L’Écho (Vendredi 4 mai 2007)