Paysages et poutrelles de Richard
Ballard
Il peint comme le vent le porte,
sensible aux découvertes, aux innovations
Anglais bon teint, Richard Ballard (Liverpool, 1951)
vit et travaille à Paris depuis une vingtaine d’année.
Les premières toiles, les plus anciennes en tout cas à nous
être proposées dans l’exposition, remontent à
quelques années déjà. Il s’agit de paysages,
dont un habitué du Vercors, Daniel Pennac, nous dit qu’ils
lui ont véritablement dessiné un autre univers. A tout le
moins un Vercors comme il ne l’avait jamais vu, jamais ressenti
ainsi auparavant.
Que l’on connaisse ou non le Vercors d’ailleurs, les paysages
de Ballard attirent l’œil instantanément, car ils recèlent
comme une magie inédite. La facture est classique pourtant, fouillée.
Mais l’artiste y ajoute une valeur, curieusement obtenue par soustraction.
Tout le paysage n’occupe pas l’entièreté du
tableau. Il s’y profile comme enclos dans l’espace réduit
de ce qui pourrait, par exemple, s’apparenter à une croix.
Ce faisant, le peintre concentre notre attention sur des indices de paysage,
des couleurs dominantes, une démonstration particulière.
La touche est sensible, vivante, attrayante.
Depuis lors pourtant, Ballard est passé à d’autres
explorations. Notamment, à des tableaux entièrement rouges
obnubilant le regard sur des tas de foin enroulés par trois, symbole
celtique libéré sans ostentation. A leur propos, Carole
Boulbès écrivait dans Art Press : « Rouge
! Les peintures rouges de l’Anglais Richard Ballard vous capturent
et vous transportent vers un autre horizon, pulsionnel comme la vue du
sang, menaçant comme un rideau de feu, intense comme une course
contre la montre. »
Roger-Pierre Turine
La Libre Culture, Mercredi 12 mai 2004
Le regard créateur de Richard Ballard
Richard Ballard projette sur la toile son interprétation
de la nature.
Les arbres impressionnent parce qu’ils dévoilent
notre condition de simples mortels, jouent les intermédiaires entre
le monde souterrain et le monde céleste et, surtout, parce qu’on
espère d’eux un peu de longévité, explique
Andrée Corvol dans un récent Eloge des arbres paru
chez Laffont.
Alors de les voir, réels et vigoureux, tels que peints par Erouane
Dumas, il y a peu, à la Galerie Lanzenberg ou de les voir ici,
« réincarnés » au bout du pinceau
de Richard Ballard ne peut qu’interpeller le spectateur sensible
au paysage. Richard Ballard projette sur la toile son interprétation
de la nature, non pas la nature elle-même. Seul compte à
ses yeux le regard créateur.
Cet artiste né à Liverpool en 1951 (dont le père,
également artiste, avait eu un certain John Lennon comme élève)
vit à Paris et expose pour la première fois à Bruxelles.
Didier Devillez qui est tombé sous le charme ce cette uvre cérébrale
la présente en deux tranches bien distinctes, réparties
sur les murs dépouillés de sa jeune galerie. On ne pouvait
rêver meilleur écrin à cette peinture emplie d’une
étrange lumière, soutenue par la matière dont l’artiste
fabrique lui-même les couleurs.
Des années 80, datent des paysages, vernis sur bois et structurés
de façon géométrique pour que l’œil se
perde dans le lointain et opère sa vision personnelle par strates
successives délimitant le ciel intensément bleu, la colline
surmontée d’un boqueteau touffu, le champ de tournesol mordoré.
Arrêt sur image… La géométrie s’inverse.
Les sillons et les champs fuient à la verticale vers l’horizon
à la manière des droites que nous tracions, enfants, en
direction de ce point de fuite difficile à comprendre.
Pour brouiller les pistes, Ballard occulte d’un panneau blanchâtre
une partie du paysage, de part et d’autre de la toile, comme pour
donner plus de force à la zone colorée. La matière
est riche, le trait est fourni. C’est le regard du spectateur qui
se conforme à la volonté de l’artiste « décrétant
l’existence des choses ».
Ailleurs, des meules rougeoient, des épis de maïs s’étirent
en traits charbonneux dans un paysage qui tient du souvenir.
Sur papier, un sobre pastel dans les camaïeux de vert figure un Sapin
d’une apparente simplicité.
C’est à partir des pigments de couleurs que Ballard recompose
la notion de sapin comme s’il se contentait d’en saisir la
perception et d’en restituer l’image mentale, à la
limite de l’abstraction.
Dans la seconde partie de l’exposition, la crise a balayé
le monde, et dans les champs, des pylônes métalliques ont
poussé, décrétant une guerre tangible à la
nature. Vue de l’esprit plutôt que réalité.
Le paysage s’oriente alors dans une direction nouvelle.
Des « séquences de pylône » démangent
le pinceau de l’artiste. Sur panneau de bois, il peint le sinistre
sujet à l’huile acrylique sur laquelle il jette de la limaille
de fer qui rouille au contact de l’eau.
La matière est épaisse, le message lourd de sens. Ballard
est un créateur au sens initial du terme.
Il réinvente ce qu’il voit et son regard suffit à
décider de la réalité des choses.
Un magicien, cet homme-là !
Colette Bertot
L’Echo, vendredi 7 ami 2004
Ballard ou l’évidence de l’incarnation
Pendant plus de vingt ans j’ai cru passer mes étés
et mes hivers dans le massif du Vercors. Et puis, un jour, j’en
ai montré des photos à Richard Ballard. Les toiles qu’il
en a tirées m’ont sorti d’un songe : mon Vercors n’existait
pas avant que Ballard ait posé son œil sur lui ! Passez-moi
cette métaphore pseudo religieuse, mais ses toiles sont «
l’évidence de l’incarnation » : elles
offrent plus de réalité que le massif lui-même, plus
de matière que ses rochers sous nos pieds, plus de lumière
que son herbe sous nos yeux, plus d’ampleur que son ciel autour
de nos têtes.
Richard Ballard est, j’imagine, ce qu’on appelle un créateur.
D’ailleurs, l’été dernier, quand je l’ai
invité à nous rejoindre, ma femme et moi, dans notre montagne,
ce fut en lui disant : « Viens donc voir ce que tu as
créé. » Et je garderai longtemps le souvenir de la
promenade que nous avons faite dans le -résultat tangible de son
travail.
Ce n’est pas que Ballard fasse dans l’hyperréalisme
(lequel, d’ailleurs, vidait plutôt les formes de leur substance),
non, ses toiles trouvent au contraire leur réalité dans
la matière même où puise son pinceau. Avant de se
mettre au travail, en fabriquant lui-même ses couleurs, Ballard
crée la matière de sa matière, la lumière
de sa lumière…
Le reste, c’est son regard. Comme si les yeux de Ballard décrétaient
l’existence des choses : de la meule de foin à la pierre
abandonnée, en passant par le pylône électrique ou
les nuages immatériels… C’est la tension de ce regard
et l’autorité de cette touche qui font l’unité
d’une œuvre si diverse.
Un peintre regarde intensément les choses et voilà que le
monde se met à exister pour de bon.
Daniel Pennac,
Paris, le 9 février 2004
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